En tant qu’ergothérapeute, j’ai eu l’occasion de travailler avec des personnes ayant des problèmes de santé mentale qui ont hâte de travailler. J’ai vite compris que l’intégration au monde du travail est difficile pour eux, non pas tant à cause de l’individu, mais parce que les environnements de travail traditionnels ne sont pas adaptés à leurs différences.
Voulant aller plus loin, j’ai entrepris un master sur l’accompagnement apporté par les employeurs, notamment dans les entreprises sociales.
Ironiquement, alors que j’essayais de comprendre, je suis moi-même passé de l’autre côté du miroir et j’ai éprouvé des problèmes de santé mentale. J’ai alors ressenti la même chose que mes patients, ce qui n’était pas tant de la difficulté à commencer de nouveaux emplois, mais de la difficulté à les conserver.
Sauf chez Innova, une entreprise sociale exemplaire, qui a accueilli et chéri ma différence.
Au cours de mon parcours professionnel, j’ai eu la chance de découvrir d’autres parcours uniques, dont celui de Sonia, qui est au chômage ; Maxence, qui est inscrit au programme PAAS-Action du gouvernement du Québec ; Emmanuel, qui travaille dans une organisation de santé mentale ; et Noémie, qui travaille dans la même entreprise sociale que moi.
Je vous invite à comprendre et à réfléchir sur leur parcours, voire à le « vivre » à travers mes écrits.
Veuillez noter que les prénoms utilisés dans l’article sont fictifs.
Être au sans emploi
Sonia est sans emploi et n’a jamais travaillé. Elle a étudié au Pakistan mais n’a pas obtenu son diplôme parce qu’elle a développé des problèmes de santé mentale. Il y a dix ans, elle a tenté de retourner à l’école au Canada, mais sans succès en raison de ses capacités cognitives, en particulier sa mémoire et ses capacités de compréhension, étaient faibles.
Sonia aimerait étudier et travailler, mais elle se demande si cela fait partie de son avenir. Son problème de santé mentale bloque ce plan et limite ses objectifs.
Sonia croit que seul Dieu connaît l’avenir, et c’est dans ce contexte qu’elle prie pour que son avenir soit à la hauteur de son talent et de ses ambitions. La prière est donc pour elle une source de réconfort.
Paradoxalement, Sonia ne se sent pas libre : « Je me sens comme en cage ».
Depuis que sa situation professionnelle a été et reste difficile, Sonia préfère s’investir dans les loisirs et caresse le rêve d’avoir un enfant.
Être inscrit au programme PAAS-Action du gouvernement du Québec
Maxence est inscrit à un programme PAAS-Action géré par le gouvernement du Québec. En échange de tâches prédéfinies, la personne reçoit une allocation de transport, ainsi que 130 $ par mois, en plus de l’aide sociale. Le programme est à durée indéterminée et doit être renouvelé annuellement.
Maxence est chroniqueur pour la revue Mentalité, une revue de l’organisme de santé mentale l’Échelon . Il a parfois du mal à jongler entre la rédaction d’articles et la prise en charge, ce qui perturbe son parcours professionnel.
Selon Maxence, le programme PAAS-Action respecte le rythme des participants. Il y a des pauses et des activités ; Il ne s’agit pas seulement de surveillance du travail. Les activités alternatives aident à la productivité, améliorent les compétences et fournissent à l’individu une méthodologie. Par exemple, il y a des cours de grammaire, de l’aide à la lecture, ainsi que des activités d’écriture et de poésie.
Maxence apprécie cette variété, mais il est conscient que le programme PAAS-Action n’est pas la structure d’emploi qui offre le plus d’autonomie ou le plus d’argent.
Maxence n’est pas sûr de son avenir professionnel. Il se demande s’il trouvera un jour un emploi sur le marché du travail régulier. Si c’est le cas, il veut être rassuré sur le fait que ce sera un travail qui lui convient. Il a peur de rester dans un emploi pendant une très courte période et de s’épuiser, car c’est ce qu’il a vécu dans le passé.
Il préfère prendre les choses une à la fois et ne veut pas trop se surcharger. Il préfère se concentrer sur son travail actuel.
Cependant, il ne peut s’empêcher de rêver de créer un jour des bandes dessinées, étant doué à la fois pour le dessin et l’écriture.
Bref, Maxence affirme qu’au Québec, si vous le demandez, vous recevez des services qui peuvent vous aider à vous améliorer. Il croit que les services d’intégration au travail sont déjà bien établis et qu’il n’est pas nécessaire de les améliorer à l’excès.
Certes, « quand vous atteignez une nouvelle étape, vous êtes fier. » Mais Maxence ne conceptualise pas les parcours d’emploi de manière linéaire.
« Dans notre expérience de vie, nous passons notre temps à revenir en arrière. Vous reculez, mais vous apportez aussi des améliorations. Vous ne devriez pas vous arrêter à l’envers. Vous reculez tout en vous améliorant.»
Travailler dans une organisation de santé mentale
Emmanuel a longtemps bénéficié de l’aide sociale. À 18 ans, il n’avait pas de diagnostic de santé mentale, mais il n’allait pas très bien. Il consommait de la drogue. Il a vécu dans un appartement pendant un certain temps jusqu’à ce qu’il souffre de psychose.
Il a ensuite vécu dans un foyer de groupe à la maison Échelon. Il a complété un DEP en infographie ainsi qu’un autre DEP en photographie, avant de devenir chroniqueur pour le centre de jour Échelon.
Emmanuel devient par la suite rédacteur en chef de la revue Mentalité, un poste qui lui demande plusieurs responsabilités. Il était responsable de la gestion du magazine tout en continuant à écrire des articles et à développer la mise en page.
Le fait d’avoir un emploi soi-disant régulier a considérablement amélioré sa confiance en lui. Au début, il était nerveux, mais après deux mois d’essais, il a constaté que son intégration se passait bien. Connaissant Échelon depuis longtemps, il n’a pas eu à s’adapter à un nouvel environnement de travail.
L’adaptation consiste principalement en une augmentation du temps de travail et en l’ajout de tâches, telles que la préparation d’ateliers et l’exécution de tâches de bureau.
« J’adore mon travail. Le vendredi, je suis content de partir, mais le dimanche soir, j’ai hâte de venir voir mes gens.»
La famille d’accueil avec laquelle il vit l’a beaucoup aidé avec la structure et l’emploi du temps. Il n’a pas besoin de se soucier de ses repas, et ils le motivent à faire son travail. Sinon, dans son appartement indépendant, il passait son temps à jouer aux jeux vidéo.
Emmanuel apprécie particulièrement l’aspect humain de son métier et l’interaction avec les chroniqueurs. Cependant, il n’aime pas appeler le magazine au sujet des renouvellements. En général, les personnes à qui il parle au téléphone n’ont pas de problèmes de santé mentale, ce qui le rend nerveux.
Concernant son avenir professionnel, il souhaite rester au centre de jour de la maison Échelon le plus longtemps possible.
Il est tout à fait d’accord pour dire que la société devrait faire plus pour encourager l’inclusion dans les entreprises ordinaires. Le contraire, dit-il, est la stigmatisation. La divulgation ou non des problèmes de santé mentale est une question de choix individuel.
Emmanuel estime que le contrat d’insertion par le travail (CIT) est une bonne mesure d’hébergement. Comme le salaire est partiellement subventionné par le gouvernement, l’employeur peut offrir un horaire qui convient mieux à l’individu.
De plus, certaines personnes choisissent de ne pas quitter le « cocon de la santé mentale ». Ils craignent de faire le saut sur le marché du travail parce qu’ils craignent de perdre le montant de l’aide sociale correspondant à de fortes contraintes d’emploi. Emmanuel soutient que le gouvernement du Québec devrait aider les personnes ayant des problèmes de santé mentale à prendre des risques calculés. En d’autres termes, donnez-leur un coussin de sécurité pour qu’ils osent aller plus loin dans le domaine du travail.
Travailler dans une entreprise sociale
Noémie est passionnée par son travail et a toujours brûlé la bougie par les deux bouts. Elle a souffert de dépression et d’épuisement professionnel, ce qui l’a souvent amenée à changer d’emploi. Elle a reçu de l’aide de divers organismes de santé mentale, dont Arrimage, qui lui a été très utile.
Cela fait maintenant sept ans qu’elle travaille pour une entreprise sociale. Ayant vécu des difficultés personnelles et peinant à gérer ses émotions, Noémie a pu compter sur le soutien indéfectible de sa conseillère en emploi chez Arrimage.
Auparavant, elle avait envie d’abandonner à quelques reprises, d’avoir des difficultés avec l’autorité et parfois de se sentir persécutée. Mais au fil du temps, elle a pris confiance en son travail. Ses patrons l’ont écoutée, et elle se sent privilégiée en conséquence.
Elle travaille deux jours par semaine, en plus de recevoir des prestations gouvernementales.
Selon Noémie, son travail au sein de l’entreprise sociale est une situation d’inclusion. Il y a des personnes ayant des problèmes de santé mentale, ainsi que d’autres sans diagnostic de santé mentale. Cependant, elle ne se sent pas complètement incluse lorsqu’elle a l’impression que ce qu’elle dit n’est pas intéressant et se sent exclue des employés qui n’ont pas de diagnostic.
D’autre part, Noémie aime beaucoup le fait que l’entreprise sociale célèbre les anniversaires des employés et s’efforce de créer un environnement de travail agréable. Elle est reconnaissante que son travail lui permette de rencontrer de nombreuses personnes différentes. Elle peut ainsi bénéficier de leur intellect et de leurs expériences.
Cependant, elle aimerait avoir plus de temps pour interagir en profondeur avec ses collègues. De plus, elle aimerait avoir plus de défis professionnels, y compris plus de variété et de responsabilités dans ses tâches.
À l’avenir, Noémie souhaite continuer à travailler au sein de l’entreprise sociale. Elle aimerait peut-être ajouter un troisième ou un quatrième jour, mais elle a peur de le faire parce qu’elle pense qu’elle pourrait perdre sa rente.
Conclusion
Bref, Maxence, Emmanuel, Noémie et moi-même avons trouvé des environnements adaptés à nos différences psychologiques et affectives, ainsi qu’à notre grande sensibilité.
Seule Sonia se sent limitée professionnellement.
Ces environnements sont très précieux. Je crois qu’il devrait y avoir plus de programmes PAAS-Action, plus d’organismes en santé mentale et plus d’entreprises sociales, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et compte tenu du grand pouvoir créatif des personnes ayant des problèmes de santé mentale.
Non seulement il est avantageux pour les Québécois que le gouvernement continue de financer ces structures d’emploi, mais les entreprises dites régulières auraient tout intérêt à s’inspirer des entreprises sociales.
Au lieu d’avoir pour seule mission de maximiser les profits, pourquoi les entreprises ordinaires ne pourraient-elles pas utiliser leur mission économique pour servir une mission sociale, comme l’intégration des personnes marginalisées dans l’emploi?