Jusqu’à l’âge de 29 ans, je fonctionnais au sommet de mes capacités. Une relation amoureuse saine, plusieurs amis sur qui je pouvais compter, une carrière prometteuse d’ergothérapeute en santé mentale et une maîtrise en réadaptation sur le point d’être complétée. J’étais choyée, privilégiée.
Mais à l’âge de 30 ans, le trouble bipolaire s’est installé dans ma vie comme un orage dans un ciel bleu sans nuages. Ma vie a été bouleversée. Je me suis retrouvée pour la première fois dans un service d’urgence psychiatrique. J’étais terriblement privé de sommeil, j’avais des délires que moi seul comprenais, et je me sentais paranoïaque. D’après le médecin de garde, j’avais une manie psychotique.
Au cours de l’année suivante, j’ai fait une dépression majeure qui m’a privé de toute ma joie de vivre. Je n’étais que l’ombre de moi-même.
Les jours et les semaines ont passé, j’ai arrêté de prendre mes médicaments et j’ai progressivement repris mon élan vital. J’ai repris mon travail d’ergothérapeute et j’étais enthousiaste à l’idée des nouveaux défis auxquels je devais faire face. Mais rapidement, mon état s’est détérioré. Je me suis retrouvé à m’arrêter pour travailler et à retourner à l’hôpital.
À l’urgence, j’ai fait l’expérience de l’isolement et de la retenue, ce qui m’a largement humilié et traumatisé. Quand je suis arrivée à l’unité d’hospitalisation, j’étais vraiment bouleversée et je n’avais pas l’impression que le personnel accueillait cette souffrance que j’avais à l’intérieur. Je me suis alors tourné vers les autres patients pour trouver du réconfort.
Il a fallu quelques épisodes pour que mon trouble bipolaire se stabilise. Mes dernières manies psychotiques m’ont laissé un goût particulièrement amer. Quand je suis revenue à la réalité, j’ai réalisé que j’avais perdu ce qu’il y avait de plus précieux pour moi, ce qui constituait mon identité : ma vivacité. En conséquence, j’ai dû faire face à des problèmes de mémoire et de concentration.
Voici à quoi peut ressembler le trouble bipolaire. Mais il s’agit d’une maladie complexe et il y a autant d’histoires différentes qu’il y a de patients bipolaires.
Mécanismes biologiques
Sur le plan biologique, les scientifiques ont observé que pour les personnes à risque de développer un trouble bipolaire ou celles qui ont un trouble bipolaire, il existe un trouble de l’activité neuronale entre le lobe pariétal et le système limbique. Le système limbique permet de passer d’un état d’alerte à un état calme. En fait, le circuit du système limbique dans le lobe pariétal a tendance à être hyperactif chez les sujets bipolaires.
Quelques statistiques
Le trouble bipolaire touche 1 personne sur 100. Elle touche autant d’hommes que de femmes, quelles que soient leurs origines ethnoculturelles ou leur niveau socio-économique.
À quoi ressemble le trouble bipolaire ?
C’est une condition où les personnes bipolaires ont des changements dans leur énergie, leurs perceptions et leur humeur. Ces changements ne sont pas adaptés, ils peuvent causer de graves dommages à la personne touchée ainsi qu’à ses proches. L’âge typique d’apparition de la maladie se situe entre 20 et 25 ans, il peut être avant ou après. Le diagnostic est posé lors d’une conversation avec le psychiatre et il n’y a pas de prise de sang pour confirmer le diagnostic.
Il existe deux types de trouble bipolaire : le trouble bipolaire de type 1 et le trouble bipolaire de type 2.
Trouble bipolaire de type 1
Dans le trouble bipolaire de type 1, il y a une longue période de manie (humeur et énergie élevées, distractibilité, impulsivité et autres symptômes). L’épisode maniaque est extrême, facilement remarqué par les autres mais la personne ne le remarque pas nécessairement. L’épisode maniaque dure 7 jours et plus. La personne touchée présente au moins trois des symptômes suivants :
- Distractibilité : passer d’une chose à une autre, un peu comme le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) mais de manière plus extrême.
- Une forte impulsivité : faire de gros achats par exemple.
- Idées de grandeur : la personne dit qu’elle veut devenir président d’un pays par exemple, ou qu’elle a été choisie par l’univers.
- Fuite d’idées : la personne parle de quelque chose et change ensuite de sujet au hasard et sans suivre un ordre logique.
- Agitation : difficulté à rester assis et à rester calme.
- Sommeil minimal ou pas de sommeil : la personne fait beaucoup de choses et n’est pas dérangée si elle ne dort pas.
- Conversation rapide : il n’y a pas de place pour une vraie conversation.
La personne atteinte d’un trouble bipolaire de type 1 peut avoir un épisode dépressif, mais ce n’est pas toujours le cas.
Épisode dépressif
Le principal symptôme de la dépression est un sentiment d’abattement et de désespoir qui : 1) se manifeste la majeure partie de la semaine et dure la majeure partie de la journée ; 2) dure plus de 2 semaines ; 3) interfère avec le travail, les performances scolaires ou les relations sociales. D’autres symptômes de la dépression peuvent être :
- Perte d’appétit et changements de poids ;
- Troubles du sommeil ;
- Perte d’intérêt pour le travail, les loisirs, l’environnement et les relations sexuelles ;
- Isolement de la famille et des amis ;
- Sentiments d’incompétence, de désespoir, de culpabilité excessive, de pessimisme ou de manque d’estime de soi ;
- Agitation ou sensation de marche au ralenti ;
- Irritabilité;
- Fatigue;
- Problèmes de mémoire et difficulté à se concentrer et à prendre des décisions ;
- Tendance à pleurer facilement ou envie constante de pleurer ;
- Pensées suicidaires ;
- Perte du sens des réalités (p. ex., hallucinations, délires).
Trouble bipolaire de type 2
Le trouble bipolaire de type 2 se caractérise par des épisodes de manie courte (ou hypomanie) et de dépression. L’hypomanie est une version plus douce de la manie. Par exemple, la personne pourrait être dans une manie de 4 jours ou moins ou dans un état hypomaniaque.
Qu’il s’agisse du type 1 ou du type 2, l’épisode maniaque est le principal critère de diagnostic du trouble bipolaire. Il a été observé que les personnes atteintes de trouble bipolaire de type 2 sont plus souvent dans un état dépressif que maniaque, ce qui rend facile d’omettre de considérer le trouble bipolaire et de diagnostiquer la dépression à la place.
Causes de la maladie bipolaire
L’impact de l’hérédité est très élevé dans le trouble bipolaire. En fait, la personne affectée hérite d’une susceptibilité dans ses gènes à certains facteurs environnementaux qui peuvent précipiter le trouble. Il n’est pas clair quels facteurs environnementaux augmentent cette susceptibilité, mais le stress ou les traumatismes de l’enfance peuvent être impliqués. Une chose est sûre, ce n’est pas comme la couleur des yeux, il n’y a pas un seul gène ou groupe de gènes impliqués dans le trouble bipolaire.
Traitements

Lithium
Le lithium, qui figure dans le tableau périodique des éléments, a un effet positif sur la réduction des symptômes de la manie (mais pas chez tous les patients). Il améliore la neuroplasticité du cerveau, c’est-à-dire qu’il atténue l’inflammation dans les tissus neuronaux du cerveau. Le lithium a un effet protecteur sur le cerveau, lui permettant de mieux tolérer le stress et de prévenir la neurotoxicité causée par l’hyperactivité du système limbique.
De plus, l’un des effets secondaires du lithium est que le taux dans le sang doit être mesuré avec soin. Plusieurs analyses sanguines doivent être effectuées, notamment au cours des trois premiers mois de traitement.
Épival
L’épival appartient à la famille des médicaments appelés anticonvulsivants. Il est utilisé seul ou en association avec d’autres médicaments anticonvulsivants pour gérer et contrôler certains types de crises. Il est également indiqué pour les personnes âgées de 18 ans et plus, qui souffrent de trouble bipolaire afin de traiter les épisodes maniaques.
Antipsychotiques
Des antipsychotiques atypiques (ou neuroleptiques atypiques) peuvent être prescrits pour traiter les épisodes maniaques. Certains sont également utilisés pour prévenir la récurrence du trouble bipolaire. Les antipsychotiques atypiques comprennent l’abilify, l’olanzapine, la quétiapine, le risperdal, le xeroquel, le zyprexa, etc.
Antidépresseurs
Les personnes atteintes de trouble bipolaire peuvent se voir prescrire des antidépresseurs pendant les épisodes dépressifs, mais il faut faire preuve de prudence car ils peuvent déclencher un état maniaque ou des sautes d’humeur fréquentes (cycle rapide).
Kétamine
La kétamine provoque une réduction rapide, bien que temporaire, de la dépression majeure chez les personnes atteintes de trouble bipolaire résistant au traitement.
Thérapie cognitivo-comportementale
La thérapie cognitivo-comportementale est une intervention psychologique structurée et limitée dans le temps. Dans cette intervention, le patient travaille en collaboration avec le thérapeute afin de reconnaître les relations entre les pensées, les émotions, les sensations corporelles et les comportements. Il identifie les pensées associées à des réactions problématiques et procède à une réévaluation cognitive afin d’explorer des points de vue alternatifs et de moduler les changements d’humeur. Il utilise des stratégies comportementales afin de faire face aux fluctuations de l’humeur (par exemple, planifier des activités agréables lorsqu’il y a des épisodes dépressifs et un plan d’hypostimulation pendant les périodes d’hypomanie).
Thérapie familiale
La thérapie familiale nécessite la participation des membres de la famille et est centrée sur l’amélioration de l’adaptation familiale, de la communication et de la résolution de problèmes.
Thérapie interpersonnelle et rythmes sociaux
La thérapie des rythmes interpersonnels et sociaux cible les facteurs de rechute, notamment les changements dans les rythmes circadiens et sociaux, la non-observance du traitement et les événements stressants. Elle enseigne comment stabiliser la routine quotidienne et le cycle veille-sommeil ainsi que pour mieux gérer les problèmes psychologiques associés à cette pathologie (ex. : deuil, transition de rôle, isolement, etc.).
Sismothérapie
L’électroconvulsivothérapie (ECT) est efficace pour le traitement de la dépression majeure. Généralement utilisée dans les dépressions résistantes aux médicaments, cette méthode permet la sécrétion massive de sérotonine, de dopamine et d’acétylcholine. L’ECT ne cible pas l’aspect maniaque du trouble bipolaire. C’est un traitement de dernier recours car il nécessite une anesthésie et est associé à des pertes de mémoire.
Stimulation transcrânienne
La stimulation transcrânienne est une méthode moins invasive qui permet de réduire les épisodes dépressifs et l’intensité des épisodes maniaques. Cependant, il faut considérer qu’il s’agit d’une nouvelle technique et que peu de cliniques ou de laboratoires la pratiquent.
Interventions sur le mode de vie
Les interventions sur le mode de vie peuvent également soutenir les personnes bipolaires, comme passer une bonne nuit de sommeil, faire de l’exercice, avoir une alimentation équilibrée, avoir des interactions sociales de qualité, profiter de la lumière pendant la journée ou mieux encore prendre des suppléments d’oméga-3. Toutes ces actions soutiennent le système nerveux de manière positive mais ne peuvent néanmoins pas remplacer l’efficacité des médicaments.
La souffrance de la personne affectée
Étant une personne atteinte de trouble bipolaire, je dis sans aucun doute que cette maladie cause beaucoup de souffrance, ce qui donne parfois l’impression de survivre plutôt que de vivre pleinement sa vie. De plus, il n’est pas anodin de constater que le risque de suicide est 20 à 30 fois plus élevé que celui de la population générale. Cette statistique est tragique, c’est pourquoi les proches et les professionnels de la santé doivent être particulièrement sensibles à la souffrance de la personne touchée.
L’une des principales raisons qui explique cette souffrance est le fait d’être confronté à plusieurs chagrins en même temps. Les symptômes de manie ou de dépression, associés à des difficultés cognitives (dans certains cas), limitent l’accomplissement des rôles sociaux (ex. : carrière, parentalité). La personne bipolaire est incapable de faire ce que la société attend d’elle, elle se compare aux autres, ce qui renforce ses sentiments dépressifs.
Stigmatisation et auto-stigmatisation
Une autre cause majeure de souffrance psychologique est la stigmatisation. Il s’agit de la réaction d’un groupe à l’égard d’une personne ayant un problème de santé mentale et de lui attribuer une étiquette qui la classe comme déviante. Lorsque nous sommes stigmatisés, nous éprouvons des sentiments d’embarras, d’abandon et d’exubérance. La stigmatisation peut même être causée par des proches, des professionnels de la santé, et peut être trouvée dans divers contextes, y compris le lieu de travail.
La stigmatisation peut conduire à l’auto-stigmatisation, c’est-à-dire que la personne commence à croire ces opinions négatives sur elle-même et commence à penser qu’elle mérite d’être empêchée d’accéder aux possibilités. L’autostigmatisation conduit souvent à une faible estime de soi. J’ai moi-même vécu beaucoup d’auto-stigmatisation, je continue à vivre avec l’auto-stigmatisation, mais avec moins d’intensité qu’au début de ma maladie.
Quand le trouble bipolaire est entré dans ma vie, j’étais sous le choc. J’avais des préjugés contre les personnes ayant des problèmes de santé mentale (même si je travaillais dans ce domaine !). Je me percevais très négativement et j’éprouvais un profond sentiment d’infériorité. C’est dans ce contexte que j’ai cessé de répondre aux appels de certains de mes amis. J’avais trop honte de ce qui m’arrivait et je ne voulais pas qu’ils me voient comme j’étais. Je me suis auto-stigmatisée. Résultat : je me suis repliée sur moi-même et ce fut le début de l’effritement de mon réseau social.
Comment récupérer ?
Lorsque nous vivons avec un trouble bipolaire, nous aimerions avancer vers une vie satisfaisante et épanouissante, malgré le trouble mental et la présence de symptômes résiduels. Pour ma part, mon emploi chez Groupe Innova me permet d’avoir une vie active, de contribuer à la vie en société et de maintenir une routine stable qui tient compte de mes capacités.
De plus, même si j’ai parfois des symptômes dépressifs résiduels, je fais des efforts pour agrandir et consolider mon réseau social. Il est important pour moi que mon environnement social m’apprécie, me respecte et entende ce que j’ai à dire. Mon entourage est composé à la fois de personnes vivant une situation similaire à la mienne et de personnes sans troubles mentaux.
Le rétablissement est un processus qui comprend des progrès et des reculs. Parfois, il est difficile de garder espoir. Cependant, vivre avec un trouble bipolaire ne signifie pas la fin de nos projets, bien au contraire. Il est important de garder à l’esprit l’un de nos projets et de faire les premiers pas vers celui-ci.
Un mot sur le trouble bipolaire et la créativité
Selon la littérature, l’hypomanie ou une brève période de manie est associée à une augmentation de la créativité. En effet, lors de mes phases hypomaniaques, j’avais tendance à faire plus de connexions que d’habitude. D’autre part, lorsque les associations d’idées deviennent trop envahissantes, la manie prend le dessus sur la créativité.
Conclusion
L’impact sur la santé du trouble bipolaire de type 1 et même du trouble bipolaire de type 2 est important. Ce trouble ralentit indéniablement les trajectoires de vie de ceux qui en souffrent. Les hauts et les bas peuvent également être de véritables défis pour les patients et leurs proches.
De plus, il existe, heureusement, une grande variété de traitements, y compris des interventions pharmacologiques et psychologiques. Le rétablissement passe aussi par une vie active, un bon réseau social et la culture de projets qui nous motivent.
En ce qui concerne la stigmatisation, la meilleure façon de la combattre est de se renseigner adéquatement sur la maladie mentale et d’éduquer les autres par la suite. Plus le niveau de compréhension est élevé, moins les gens sont susceptibles de rester à l’écart d’une personne ayant un problème de santé mentale.

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